NIZAR KERBOUTE
Nizar Kerboute est né en 1982 dans la ville de Taza. Il réside à Rabat où il exerce son métier de médecin. En 2000, il a obtenu un baccalauréat en sciences expérimentales. En 2006, il a eu son doctorat d’Etat en médecine et chirurgie dentaire à l’Université Mohammed V. Entre-temps, il a également créé le club de l’écriture littéraire à Rabat en 2003. Il était responsable de la rubrique culturelle du journal «Al Manbar Tollabi» (2004-2005) et de la revue «SMS» dédiée à la poésie. En 2003, il a décroché le troisième prix en poésie à l’Université Mohammed V- Souissi. L’auteur participe à plusieurs conférences et soirées poétiques initiées par plusieurs institutions au Maroc et à l’étranger. Il a, de plus, des publications dans différents médias marocains, arabes et internationaux à l’instar d’Al Ittihad Al Ichtiraki, Al Massae, Akhbar El Yaoum, Al Qods Al Arabi, Annahr Elloubnania, Al Arab, Azzamane, Al Ghaouen, Al Arabi El Jadid, Bayt Achiîr (Emirats), Arpa poésie, convergences, traversée poétique et bien d’autres.
A propos de l’auteur

Un toit de papillons
Nizar KERBOUTE
Poésie
Traduit de l’arabe par Mounir SERHANI
Comme s'il était poète
Il part avec ses yeux
Dans la peine du soir
Et disparaît dans sa montre
Qui pèse lourdement sur son avant-bras
Comme s'il était un poète égarant son chemin
Vers un bar ami
Partageant les moments de délire
Et les saisons de la solitude pluvieuse
Il ne se souvient plus des traits des chaises
Où il causait avec ses affres fidèles
Il se rappelle la dernière fois où il a oublié son rendez-vous
Avec un petit poème
Imitant la marche d'Al- Mutanabbî
Et la voix d'une métaphore blessée
Dont les mots ne sont pas encore pansés
Il récite à l'écoute d'une bouteille de vin solitaire
Ce qu'il apprend des cris
Et des titres de journaux oubliés
Sur le chemin du retour à la première ruelle
Après le silence
Le doigt qu'il a mis dans le cendrier
Ne bat plus comme l'ont habitué
Les nuits de pluie
Il n’invite plus les belles
A son appartement
Au rez-de-chaussée
Il est devenu pareil aux cendres lui aussi
Il passe sa journée
A chercher sa couleur
Que la foule des passants couvre
Dans les rues de Rabat
Une absence zéro calorie
1
La pomme de Newton n’est pas encore tombée
Elle cherche encore sa côte absente
Parmi les ombres des arbres
2
La fumée de la cigarette harcèle les mots
Elle cherche une place vide dans ma tête
Pour y éteindre l’absence
3
Reviens ô l’absence pour que je regarde longuement ton visage
Et que j’allume ma cigarette dans un calme qui sied à la séparation
4
Quand le garçon de café se met à ramasser les chaises
Son image s’évanouit dans ma tasse
Et les mots se brisent dans le creux de ma main
5
Etrange est la blancheur, à chaque fois que je la pilonne d’encore
L’absence lui sert d’exil
6
Tarde un peu ô l’absence
Je suis en train d’écrire le testament du Ciel
7
Une absence dense peint mon visage sur ta toile grise
Mon ami le peintre :
Ne t’inquiète plus pour tes couleurs de la déperdition
Leur sort tu le détiens en main
Et le tien est une lampe dans le ciel
8
Des enfants évanescents dans le noir
Demandent le secours d’un nuage qui a oublié d’apporter
Un peu de chocolat, avec lui
9
L’absence du poète est une affaire très facile
Elle n’a besoin que d’un crayon
Et d’un pistolet quatorze millimètres
10
Bonsoir, d’absence, ô le monde
Tu te déguises désormais en oiseau
Et tu vends le silence à Wall Street
11
Les bouteilles de vin
Demandent le secours d’un poète invariable
Evanescent dans son verre solitaire
Et enregistre dans son portable
Un dernier appel au voyage
12
Si étrange est l’Homme
Qu’il oublie des choses après leurs réminiscences
Et s’en souvient dans l’absence
13
Bonjour ô la nuit
L’absence du papillon
N’abolira pas l’effet de l’ombre
14
L’absence qui me peint est une marque déposée
Toute imitation est interdite
15
Je suis un simple mot dans le dictionnaire de l’absence
Je n’ai pas besoin d’un moteur de recherche fouillant dans mes affaires personnelles
16
Dans un instant démarrera le compte à rebours
Une dernière cigarette ce soir
Et la fumée disparaitra avec le zéro
Un ciseau poursuit
mon manteau
Mon ciel est malheureux
Son chagrin tombe sur mes épaules
Comme lampes distraites dans la lumière
L’image du ciseau poursuit mon manteau
D’une rue à une autre
Et d’une taverne à une autre
Une brume dense dans mes veines
Part
Et puis revient
A son rendez-vous ponctuel
Comme un touriste français
Portant sa longue chemise
Et son appareil photo
Une goutte d’eau m’a picoté
La joue
Peut-être serait-elle une épine sous forme de rosée
Et d’aiguille
Elle se cache par crainte du marteau du forgeur
Que veut-elle de moi ?
J’ai réglé tous mes comptes
Avec la vie
J’ai brûlé tous mes poèmes
Et j’ai tourné le dos à l’Orient
Pour que mes amis ne m’accusent pas
De fidélité
Pourquoi la peins-tu ainsi, toute nue ?
1
Ma plume voyage entre tes seins
Elle cherche les écrits de la ville d'Ur
Et des gravures
Dont on raconte qu'elles étaient l'origine de l'alphabet
Il passe ses jours
Égaré dans les chemins que tu revêts
Il ramasse tes saisons dans sa valise
Et prend le train du matin
Vers une ville féminine
Connue pour son chocolat
Et le gâteau de Noël
- qui ressemble à la branche du sapin-
Bohémien comme son habitude
Il ne compte point les distances
Accompagné d’une amie nommée
"Désir"
Que personne ne voit
Comme dans les films de science-fiction
Il lui parle
Lui sourit
Et quand il boit un verre de bordeaux
Il lui envoie un baiser avec la serveuse
2
J'ai dit à la plume
"Pourquoi la peins-tu ainsi, toute nue ?"
Elle m'a dit
"Ma vie est courte entre tes mains,
Je ne la gâcherai pas dans la composition et les introductions inutiles
Quel est donc mon péché si mon encre est amoureuse de la femme
Aimant la nudité dans sa forme exagérée
Et raconte des belles qui
Lui font la cour dans la blancheur"
La lumière a une autre sagesse
1
Plus les distances s’élargissent plus l’ombre grandit
Telle est la sagesse de la lumière
Indiscrète
Elle ne connait pas le sens des secrets
2
Moultes ombres dans ma tête
N’ont pas besoin de lumière
Pour exprimer leur obscurité
3
Les lumières de la ville sont nombreuses
Et ce qui est étrange
C’est mon ombre solitaire partout où je voyage
4
La Dentelleétend ses ombres sur tes jambes.
C’est une lecture surréaliste
Des couleurs de l’arc-en-ciel
5
La tulipe tatouée sur tes hanches
Hume l’odeur de mon ombre
Sans doute est-ce une nouvelle manière
De faire l’amour
6
Elle écrivait des poèmes en prose sur mon ombre
J’ai pensé à les lire…
Mais j’ai avalé ma langue ce matin.
7
Le vide dévore mes lettres comme un fast-food américain
Je peins des poèmes et les brûle avec mes anciennes affaires,
Tel est le métier du poète, son gagne-pain dans les petits détails n’a pas besoin qu’on
Lui rappelle l’oubli
8
J’ai perdu la clé du sommeil, je n’ai pas trouvé le chemin de retour à mon oreiller
De papier
Je demanderai de l’aide à un voleur professionnel excellant dans le décryptage des mots.
9
Le tissu prononce des adieux au ciseau en un moment digne des films hollywoodiens
L’aiguille tient le microphone
Et le fil souffle les mots dans l’oreille du peintre
10
Ta main est tendue, elle récolte un sourire de mon visage fatigué,
Abattu par le voyage dans train têtu ne s’arrêtant que dans le désert.
11
La lumière a un point faible solitaire
Incapable de voir mon ombre danser sur les ruines du texte
12
Plusieurs lumières ne me plaisent pas, à l’instar de poèmes ennuyeux nécessitant
Des lunettes solaires pour qu’ils soientà la mesure de l’œil
13
Parfois l’ombre de ma tête me fait peur,
Sous la lumière rouge mes oreilles apparaissent et mon visage disparait.
14
De nombreuses lumières surgissent de l’ancien mur, frappent à la porte du dernier Vendredi. Aucune ombre n’est à l’intérieur ouvrant à une broussaille de mots, même le fleuve a oublié la corde du pêcheur dans sa gorge.
Tout le monde dormira en dehors de la ville sans dîner.
15
Chaque Jeudi moultes choses explosent autour de moi, les tuyaux de gaz, les pneus, les boîtes de sardines,
Et d’autres poèmes.
16
Une bombe à retardement dans mon bureau
Des livres de poésie demandant le secours à un roman ne disposant pas des escaliers d’issue.
17
Un silence soûl traverse les pages de ma nuit sereine
Cherche dans ma valise une goutte de lumière à mettre dans le café du matin
Et un morceau de pain à fermer les bouches des journaux.
18
Le poème brille dans la main du sage comme une piècede cristal intimidée par l’humilité
Et dans la main de mon père il brille aussi…
19
La voix de l’étranger frappe au verre de ma fenêtre
Zut ! … j’en ai marre des visites à l’imprévu.
20
Une bouteille quasi nue se baigne dans la lumière feutrée.
Elle attend avec qui échanger des SMS sur la rive d’un fleuve
Qui brûle.
Dentelle
Rue
J’attire mon ciel à la rue Montparnasse
Je cherche ta couleur qui me tue
Jusqu’à la blancheur
Automne
L’automne a persisté à te traquer dans les ruelles de Catalogne
A tel point qu’il a oublié qu’elle n’était qu’une simple saison
Pas au-delà
Chute
Les mots me sont tombés
Il n’en reste que ce que tes mains
Ont révélé par inadvertance
Que le printemps a oublié en début de ligne
Blancs
Mes feuilles refusent les mots
Et en ont marre des blancs
Et … des points de suspension
Sourire
Ton matin est mélancolique
Il demande le secours au premier sourire frappant à la porte
Soirées
Des soirées heureuses voyagent dans l’obscurité du temps
S’embellissent de l’alphabet et des métaphores insomniaques.
Jambes
Des jambes minces dansent dans mon verre,
Elles cherchent l’écho des pas
Expression
Une expression d’esprit distrait
Médite un début hors-texte
Pluie
Les parapluies refusent de s’ouvrir
La morale du jour est dans les grains de la pluie
Vent
Un poème assis sur la rive de mes chagrins
Boit un verre de Vodka
Et fredonne les dernières paroles dites d’un nuage amoureux
Folies
Dessine tout ce que tu veux sur ma poitrine
Tes folies sont grandes
Mon corps aussi.
Regards
Tu me regarde à la dérobée derrière le journal
Tel est ton loisir !
Des regards et rien d’autres.
Identité
L’arc-en-ciel remet les couleurs dans l’ordre
Il cherche une identité qui sied à la blancheur
Chemise
Ta chemise noire refuse de dormir
Et si tu le mettais de côté et que tu mettais un tissu de nuit
Saisie
A chaque fois que je me mets devant toi un instant
Tes seins commencent la saisie
Paradis
Mets une cerise dans ta bouche
Il est injuste que tu laisses le paradis sans fruit
Une peintre
Peins tout ce que tu désire
Et n’oublie pas de laisser une place vide
Où je mets ce qui me reste des lèvres
Bois de chauffage
Des bois ne supportent le silence des forêts
Et ne se satisfont que des erreurs des lèvres
Et des folies des ongles
Cheminée
Ta voix s’allume dans ma cheminée
Emet la fumée des cris
Et demande le secours d’un poing de bûcheron
Cigarette
Tu es étrange, tu ressembles à ma cigarette
Je te déguste quand je suis joyeux
Et je te dévore quand le chagrin s’empare de moi
Fenêtre
Je t’ai regardée à travers la fenêtre du café
Le garçon de café m’a souri, puis m’a dit : « il fait beau aujourd’hui… »
Invitation
Depuis un temps lointain
Je ne t’ai rencontré ô le poème
« Acceptes-tu mon invitation au diner ? »
Téléphone
Ton téléphone portable sonne à l’intérieur de mon texte
Réponds s’il te plait
Avant que les mots se réveillent
Pancarte
La Dentelle regarde depuis ton sac
Elle porte une pancarte sur laquelle y est inscrit
« Le peuple veut la chute de la poésie »
Danse
Les rires des jeunes filles m’ont dérangé au café
Etrange que je suis, quand je suis de mauvaise humeur
Mes doigts dansent sur le keyboard
Rêves
Plus je m’approche de la fumée de ta cigarette
Plus je la trouve parfumée de l’odeur rouge-à-lèvres
Et de rêves mouillés
Récolte
Des seins nombreux s’implantent dans ma tête
Je devrais peut-être les arroser de vin
Pour que ma récolte pousse cet été
Ou les saupoudrer de quelques poèmes de Pablo Neruda
Pourvu qu’ils murissent davantage.
Terme
Ton tissu de papier est recherché par la justice
Il a kidnappé le rouge des lèvres du terme
Dose
Une dose de sommeil a angoissé la ville de ma veille
Le fracas du train de minuit passant au-dessous de mon appartement
Il m’a transmis le salut d’un voyageur dans le bleu oublié.
Ronflement
Des fois j’entends le ronflement de mon voisin solitaire
D’autres fois
Je lui fais entendre mon silence dépourvu de calme
Signe
Les signes de circulation sillonnent mon chemin
Et le feu rouge demande le secours d’un conducteur
Qui n’a pas envie de s’arrêter.
Point
Le crayon qui dessine ton visage s’est arrêté au premier point de ta bouche,
Impuissant devant une rondeur rétive à la progression chromatique.
Wanted
Si je me dérobais des regards
Le monde se rendrait-il compte de mon absence ?
Peu importe tant que le seul monde que je possède
Est une chambre ayant un mur unique et un toit de papillons.
Dans son roman «L’avant-première» : Nizar Kerboute réalise un film sur les soldats marocains du temps de la 2ème Guerre mondiale

L’auteur marocain, Nizar Kerboute, vient de publier son nouveau roman intitulé «L’avant-première».
cette publication, éditée par le centre culturel arabe à Beyrouth et Casablanca, est, selon l’écrivain, «une nouvelle expérience». Comme il précise l’auteur, également poète et dentiste, l’œuvre présente «deux récits parallèles». Le premier se déroule dans l’époque contemporaine à travers le personnage de Kamal. Quant au deuxième, il remonte à la Deuxième guerre mondiale par le biais du personnage du Caporal Mohamed, ayant fait l’objet de service militaire chez l’armée française.
Un film allie les deux récits
Dans les faits, «Kamal» est de retour chez la famille le jour du décès de son père après une absence d’une dizaine d’années. Sa relation avec son père, cinéaste éminent, n’était pas au beau fixe. Après l’enterrement de son père, le fils découvre, dans son bureau, que son géniteur travaillait sur un film «exceptionnel». «Cette œuvre cinématographique remonte à une période de notre histoire proche. Les faits de ce film sont autour du Caporal Mohamed, dans le temps de la Deuxième Guerre mondiale. Une période marquée par les douleurs subies par les soldats marocains, impliqués dans une guerre qui ne les concerne nullement», précise l’auteur. Selon ses dires, «Kamal» vit dans l’intrigue, parmi des personnages constituant les aspects d’une œuvre pleine de «suspense». Ainsi, le personnage principal plonge dans des vérités dont il n’a jamais entendu parler. «Ce qui l’incite à poser plusieurs questions douloureuses et gênantes à la fois», indique l’auteur. Une intrigue qui fait l’intérêt de l’œuvre dont le titre est également captivant.
3 ans de travail
«Ce roman m’a pris 3 ans de travail et de recherche», précise l’écrivain. Selon ses dires, il a fait beaucoup de voyages pour avoir la matière nécessaire à ce récit. Il rappelle, dans ce sens, avoir fait des déplacements entre les archives du ministère de la défense en France. «J’ai passé des nuits pour broder les secrets de l’histoire», révèle-t-il en indiquant avoir recoupé le témoignage du héros enregistré avant sa mort. En fait, la période historique que l’écrivain raconte est, selon ses dires, «différente de celle des manuels scolaires». Il dit également narrer la mémoire vivante des démunis, l’histoire des héros marocains ayant participé à la guerre.
Extrait de l’œuvre
« Je me sens vidé de ma substance telle une personne face à un mont de brumes ou un océan gris ayant perdu, depuis belle lurette, de sa couleur bleuâtre écarlate. Je me suis réveillé au rythme du frottement de la vigne au mur. C’est comme si cet arbrisseau tentait de se débarrasser de son ombre lassée de solitude. Ses feuillets éparpillés par terre me rappellent le nombre de jours égarés dans ma mémoire brisée. Ces jours qui coulent dans mes veines tels des torrents s’écoulant au fil des saisons et versant dans un fleuve. Une rivière à l’affût d’une patrie récoltant les miettes de mes semblables. Ceux rêvant d’un air pur et frais dans le ciel de la liberté, d’un sol digne des personnes honnêtes et simples. Ceux qui cherchent un fil pour raccommoder une vie pleine de souffrances innombrables. La journée allait se passer normalement tout comme les autres si ce n’est une main qui a ouvert la porte pour me tirer d’une léthargie».
Outre «L’avant-première», Nizar Kerboute a, entre autres, publié en 2017 un recueil de poèmes «Je m’offre à l’anarchie » (Marsam). Il a, de surcroît, publié «Cendres passionnées» (recueil de poèmes, éditions Zaouia, Rabat, 2007), «Le noir avale mon rouge» (recueil de poèmes, éditions Fadaat, Amman, 2010) et «Un toit de papillons», (recueil de poèmes, éditions Marsam, Rabat, 2013 et L’Harmattan, Paris, 2016).
Publié par Salima Guisser